Journal d’expédition du 10 au 16 décembre

La connexion avec l’équipage n’est pas des plus aisées, mais voici la suite les évènements à bord du NDS Evolution contés par Alain Blanc, qui représente la Fondation PlanetSolar dans le cadre de la mission Antarctic Explorers…

 

Mardi 10 décembre
Nous nous réveillons avec une mauvaise nouvelle. Hier, dans la nuit, un avion Hercules à destination de la base antarctique chilienne Edouardo Frei Montalva a disparu en mer. C’est cet atterrissage que nous souhaitions filmer… Et dire qu’hier après-midi, nous interviewons le commandant Silva… Il nous expliquait, entre-autre, l’importance de la base lors des missions de sauvetage sur tout le continent. Dans quel état de stress doit-il être aujourd’hui ? Nous lui envoyons un message de réconfort.
L’aéroport Rodolfo Marsh Martin constitue une véritable porte d’entrée aérienne sur le continent antarctique. Cette piste d’atterrissage reçoit les scientifiques et tout le personnel des bases environnantes. C’est aussi de cet aéroport que débarquent les touristes attendus sur les bateaux croisières. Hier, nous avons assisté au débarquement d’un avion de touristes, tous de jaune vêtu. Le tourisme a, ces dernières années, fait un boom dans cette contrée si isolée.

Le temps nous oblige à rester à l’ancre. Nous profitons pour mettre à jour carnets de bord, photos, vidéos et prévoir les journées suivantes en fonction des conditions météorologiques. Dehors, la température est négative (moins 8 degrés) avec 30 nœuds de vent. Pour le moment, et hormis lors de notre arrivée à la base argentine, nous n’avons pas eu un jour de beau. Comme nous naviguons beaucoup encore et sans pouvoir ranger le kayak solaire dans un endroit vraiment sûr, je ne veux pas prendre le risque de monter son installation électro-solaire pour le moment. 

Alain

Mercredi 11 décembre
Nous reprenons la navigation vers Media Luna, une île en croissant de lune placée à l’intérieur d’une grande baie. Cette baie fait partie d’une île plus grande : Livingston Island. Il y a une base scientifique argentine temporaire, Camara, au beau milieu de la baie. Elle n’est habitée que temporairement. Eugenio me dit que la dernière mission qui a eu lieu à Camara remonte à deux ans.

Nous nous y rendons non seulement parce que le décor est de toute beauté mais aussi parce que c’est sur ce petit bout de terre que vécu le père de Maria-José (ndlr: la propriétaire du catamaran NDS Evolution avec son mari), il y a 69 ans. Maria-José apporte avec elle les photos en noir et blanc prises par son père durant son séjour d’un an dans ce bout du monde. Il s’agira de repérer les lieux et de la prendre en photo devant le même paysage. 

Nous gravissons les deux petites collines pour admirer le paysage extraordinaire qui s’offre à nous. A deux reprises, je manque de marcher sur des skuas, ces oiseaux noirs qui nichent ici. A terre, ils se confondent avec les cailloux, alors qu’en l’air, ils peuvent être menaçants si l’on s’approche trop de leur nid. Enfin, sur la plage, mais cela devient courant, un petit attroupement de manchots papous joue avec les vagues. Hélène nous fait voir une masse gélatineuse transparente avec un point rouge brun à l’intérieur : c’est un plancton, un salpe. Intéressant d’apprendre que le plancton est peut-être le chaînon manquant entre les vertébrés et les invertébrés. D’ailleurs, c’est peut-être à partir de ce point rouge brun que s’est développée la première colonne vertébrale…

Alain

 

Jeudi 12 décembre
Nous passons une bonne partie de la journée à naviguer. Destination : la base bulgare de St-Kiliment Ohridski qui se trouve sur l’île de Livingston. Le vent de face nous oblige à tirer des bords. Des growlers éparses nous accompagnent aussi bien au large que près des côtes.

Déjà, les bulgares attendent sur la plage notre débarquement. Ils sont venus nous accueillir en moto-neige. Je débarque le dernier et me charge de ramener la moto vers le petit chalet qui leur sert de refuge. Je découvre avec plaisir des panneaux solaires sur le toit de l’un des baraquements et le vois comme un bon signe pour l’expérience avec le kayak solaire que je dois mener!  L’énergie solaire est véritablement l’une des clefs du fonctionnement des bases scientifiques qui veulent miser le moins possible sur le pétrole pour avoir de l’énergie.

En tout, une dizaine de personnes sont venues il y a 15 jours pour remettre en état la base pour l’estivage. D’autres scientifiques sont attendus juste avant Noël pour une mission de trois mois. Vodka, yaourt, biscuit dans leur cafétéria. Uliaina me donne 500 grammes de yaourt pour notre petit déjeuner de demain. Le luxe! Puis, on nous conduit vers leur petite chapelle. Les icones ont été peintes par une vieille dame venue ici spécialement pour ça. A croire que les bulgares ne prennent pas de retraite: tous sont des anciens ici! Le plus âgé a 73ans. Balade sur la plage avec Peter, un ingénieur électricien. Dragomir le chef de base est un peu inquiet lorsque Bertrand filme les ordures. Pourtant, s’il y en a, c’est assez bien rangé. Il y a des tas de différentes matières, prêts à être embarqués dans un bateau. Il faut dire que les déchets sont un vrai problème sur les bases scientifiques et leur bonne gestion est un impératif.

Alain

 

Vendredi 13 décembre
Nous naviguons vers Deception Island. Enfin, le temps tourne et il fait presque beau! Des manchots papous défilent sur un iceberg se laissant dériver. Une énorme colonie de Chinstrap colonise les abords de Deception Island, juste avant l’entrée dans la baie. Nous passons devant Whaler Bay. Nous pensions mouiller ici, mais un gros bateau arrive en même temps que nous. Tant pis, nous irons plus loin, en direction de la toute petite base argentine de Decepcion. Nous reviendrons à Wahler Bay demain.

Arrivés au mouillage, dans l’enceinte de ce cratère, je m’attelle au montage de la partie électro-solaire du kayak de la Fondation PlanetSolar, avec l’aide d’Hélène. Je constate avec inquiétude que le safran n’a pas dû passer un bon voyage, étant légèrement tord. Arrivant à le redresser, je décide de faire un essai autour du bateau. Ca y est, le kayak solaire est à l’eau, les panneaux installés et orientés en direction du soleil. Mes batteries affichent l’énergie que j’ai à disposition. Je navigue dans les environs, ne m’éloignant pour le moment pas trop du NDS Evolution. Mais le  test est probant. Je pense à mon ami Raphaël Domjan, qui m’a fait confiance pour piloter son incroyable embarcation. Je suis soulagé d’avoir pu enfin mener cette première navigation, et fier aussi de ce moment si important pour la Fondation PlanetSolar!

Alain

 

Samedi 14 décembre
Quelle journée! Enfin le soleil est de la partie! Tout le monde se dirige vers Wahlers Bay à bord du dinghy. Quant à moi, j’irai à l’énergie du soleil, avec le kayak solaire! C’est véritablement une première navigation solaire en Antarctique (une première dans un cratère aussi, car Deception Island est en fait un ancien cratère de volcan!). Je suis aux anges.

4 miles nautique plus loin, et après une navigation inoubliable, je retrouve mes compagnons d’aventure sur une plage de sable noire. Des fumerolles et une odeur de soufre indiquent bien que nous sommes sur un volcan. Des manchots papous sont en cure thermale. Des crevettes cuites jonchent le sol. Un éléphant de mer bronze sur la plage. J’essaie d’aligner mon kayak sur lui pour prendre une photo. Bertrand me suit avec son drone, au-dessus des fumeroles jusque vers la porte d’entrée de la baie. Une fois à terre, nous nous rejoignons tous autour d’un pic-nic improvisé dans les ruines du village. L’ancienne station de Wahlers Bay a servi l’industrie de la baleine dès 1911, puis a servi de base scientifique jusqu’en 1967. Les énormes cuves en acier, rouillées par le temps, donnent une image singulière à l’endroit. Elles servaient autrefois à stocker la graisse de baleine. Les maisons en bois, toutes écroulées, ont été abandonnées suite à l’éruption volcanique de 1967.

J’aimerais reprendre la navigation jusqu’au bateau, mais le safran du kayak solaire est à nouveau un peu tordu, ce qui rend la navigation solaire plus difficile. Et je ne souhaite surtout pas empirer les choses. Je décide de rentrer à la rame pour pouvoir le réparer convenablement à bord du catamaran. Comme tous les samedis soir pour les Argentins de l’Antarctique, c’est pizza party. Cette fois ce n’est pas Eugenio qui nous les préparera mais la dizaine de militaires venus installer ou plutôt entretenir cette petite base temporaire argentine au bout de la baie. Une soirée chaleureuse pour clore cette journée magnifique!

Alain

 

Lundi 16 décembre

Après avoir navigué la journée du 15 décembre, nous sommes désormais dans une petite baie, sur l’Ile Trinidad. Il y a un refuge, sorte de petite cabane en bois rouge. Eugenio me dit que ce refuge est à la disposition de qui en a besoin. Il a été construit à des fins scientifique mais plus personne n’occupe cette maison. Enfin presque, ce petit bout d’ìle est en fait une « pinguinera », une colonie de manchot. Ils sont partout, du débarcadère au sommet du toit! Du promontoire rocheux dont l’accès est enneigé descendent 3 chemins, comme trois routes hivernales dégagées par des fraiseuses. Le long de ces routes un petit monde se croise courtoisement. Nous évitons d’abîmer cette belle organisation et passons sur le côté, dans une neige ramollie par le soleil du jour. Tout en haut, pareil qu’en bas, les manchots ont aménagé une petite plateforme en caillou gris, afin de ne pas être au contact direct avec la neige. De l’autre côté du promontoire, des phoques de Weddel font une sieste à même la neige. En bord de plage, un squelette de baleine se décompose doucement. Le petit ressac de la mer emmène et revoie des glaçons dans un doux clapotis. Un tableau presque idyllique, témoin que l’Antarctique peut aussi être un lieu où la vie suit son court dans une forme de sérénité.

Retour au bateau pour m’occuper du kayak solaire. Je parviens à redresser son safran. J’ai également changé de batterie. J’ai tant hâte de pouvoir naviguer à nouveau! A peine le repas de midi avalé, je sors sur le kayak. Magnifique sensation que de se sentir porté sur l’eau par un petit moteur électrique alimenté à la seule force du soleil dans un tel décor. Je me rends à un bout de la baie. Grâce à cette navigation silencieuse, j’entends les manchots qui sortent leur tête de l’eau pour crier. J’entends la glace qui fond, qui vêle. Les glaçons sont de tous les calibres. Je zigzague. Une hirondelle me frôle, un cormoran surveille mon passage du coin de l’œil bien que tout près de moi. C’est extraordinaire.

De retour à bord du catamaran, nous partons dans la foulée pour Primavera, une autre base argentine. Le décor est de toute beauté. Pour accéder à la baie nous devons passer entre iceberg et glaçons. Il y en a partout. Les montagnes tombent à pic sur la rive, les énormes glaciers déversent leur surplus de glace dans la baie. Il fait beau et le soleil n’en finit jamais de se coucher pour se relever successivement…

Alain